Journée 04 - 14 avril 2007, Vailly-sur-Aisne
LA 127e D.I. EN AVRIL 1917
Merci à Monsieur Jean Marie Martainneville qui nous a transmis ce texte rédigé à partir d'une partie des notes du Général d'ANSELME , Commandant la 127e DI , prises lors de l'attaque du 16 Avril 1917 sur SOUPIR - CHAVONNE - VAILLY. Elles ont été recopiées par son petit fils , le Colonel d'ANSELME
NOTES du Général Philippe d’ANSELME
Commandant la 127
e DI
11 Avril –Mercredi - CREUTE DES ROCHES
Je m’installe à mon poste de combat. Immenses cavernes sous roc … Je vois toute ma division à la fois et puis correspondre par l’optique avec tous , mais nous sommes en pleine vue , les creutes ont toutes leurs ouvertures tournées vers l’ennemi.
On cogne très fort autour de nous. La préparation d’artillerie bat son plein. Ca sent les grands jours. Les résultats jusqu’ici sont mauvais; on a voulu trop en faire à la fois , étendre la destruction sur 7 ou 8 kilomètres de profondeur. Le temps d’autre part est déplorable. Je crains que les destructions ne se fassent ni sur les derrières , ni même sur les premières lignes.
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14 Avril – Samedi -LES ROCHES
Cette fois l’artillerie travaille. Elle voit toute la première position; les destructions marchent. L’artillerie de tranchées fait particulièrement de l’excellent travail. Nous tirons 20.000 obus ou bombes sur le front de la division dans la journée.
15 Avril – Dimanche – LES ROCHES
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L’attaque a lieu demain matin à la première heure sur tout le front du Groupe d’Armées. Temps affreux , les hommes sont dans l’eau , les communications entre les deux rives de l’AISNE sont extrêmement difficiles , les boyaux sont inondés et d’autre part on ne peut passer à découvert sans être visé directement par les mitrailleuses des premières lignes allemandes qui voient toute la vallée , à quelques centaines de mètres près.
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16 Avril – Lundi – LES ROCHES
Dans la nuit les troupes ont pris leur dispositif de combat. En première ligne 172° à droite à l’Est de SOUPIR , 25° Chasseurs au centre à SOUPIR , 355° à gauche à CHAVONNE, 29° Chasseurs en réserve En arrière un détachement (Colonel MECHET) : 171° , 2 bataillons de Sénégalais et 1 régiment territorial (44°) en réserve pour l’exploitation.
Terrain d’attaque extrêmement difficile. Pentes boisées , hérissées de défenses diverses. La première position à enlever est la crête de COUR – SOUPIR , trois éperons , à gauche (à l’ouest) Les Grinons au dessus de CHAVONNE , objectif du 355° , au centre le MONT SAPIN , objectif du 25° Chasseurs , à droite Le Balcon , objectif du 172°. Deux cuvettes entre les éperons , celle de CHAVONNE à gauche , celle de COUR SOUPIR à droite. En arrière de cette première crête , un plateau découvert et en pente douce jusqu' à la crête GRINONS – CROIX SANS TETE. La CROIX SANS TETE est l’objectif de la 56° Division (HELLOT) qui opère à notre droite. Une garnison allemande nombreuse , approvisionnée à plusieurs jours de vivres et de munitions , tenant d’abord les pentes vers l’AISNE et ayant garni de mitrailleuses et minenwerfer en nombre invraisemblable le plateau en arrière. La défense comptait certainement nous arrêter net , sinon sur les pentes , au moins à la première crête où nous ne pouvions en tout cas arriver qu’à bout de souffle et où nous attendaient leurs mitrailleuses. Chez nous , toute la division collée pour le départ au bas des pentes sur 200 mètres seulement de profondeur.
Assaut à 6 Heures du matin. Légère brume. Je suis néanmoins la progression de mon infanterie ; les pentes sont rapidement gravies , notamment au centre par le 25° Chasseurs et à droite par le 172° qui atteignent la première crête. Le 355° à gauche pénètre dans CHAVONNE , mais le Village est nivelé et battu à découvert par l’artillerie et les mitrailleuses des Grinons. Toute la journée du 16 , le 355° ne pourra que s’y maintenir sans progresser. D’autre part le 25° et le 172° sont arrêtés à la crête du plateau , réseaux inextricables à travers bois , fils de fer entre les arbres que l’on avait pas pu voir et par conséquent détruire. Toute la journée on se bat à la grenade sur la crête. Je correspond avec eux par télégraphie optique. La plus grande difficulté pour nous est le réglage de notre artillerie … les premières lignes françaises chevauchent les unes sur les autres au gré du combat ; l’artillerie tire de flanc … des fractions entières sont atteintes par nos propres obus , impossible de savoir d’où viennent les coups ; de nombreuses batteries des divisions voisines , sur lesquelles je n’ai aucune action , sont entre les miennes. Quelles sont celles qui tirent sur nous ? L’ennemi réagit fortement , toutefois devant mon front l’artillerie ennemie est inférieure à la notre.
Finalement dans la soirée , la situation est la suivante :à gauche , malgré 2 nouvelles attaques du 355° et du 25° Chasseurs , les GRINONS n’ont pu être enlevés ; on a gagné du terrain , mais la situation du bataillon BRUNEAU dans CHAVONNE est critique. Une contre attaque allemande a enlevé personnellement au corps à corps le Commandant BRUNEAU , en laissant d’ailleurs de nombreux prisonniers entre nos mains ; le Commandant NAUROY du 355° a été tué. Une section de mitrailleuses (DANGUILLAUME) a eu tous ses gradés tués , une pièce détruite , la pièce restante a tiré jusqu’à sa dernière cartouche. Un sergent BARBIEN du 355° isolé de sa compagnie , a tenu tête avec une poignée d’hommes , dans les ruines de CHAVONNE , à toute une compagnie allemande et a pu , à la nuit , ramener tout son monde. Un détachement de 70 hommes a repoussé trois contre-attaques dans la journée , est resté entièrement isolé et n’a pu se rallier au Régiment qu’à la nuit. Nos communications avec le bataillon de CHAVONNE sont presque impossibles.
Au centre et à droite le 25° et le 172° sont toujours à la première crête d’où ils pourront demain reprendre l’attaque.
En résumé , nous occupons le 16 au soir , une partie de CHAVONNE , mais d’une façon très précaire , nous avons le MONT SAPIN , le BALCON et la plus grande partie de la COUR SOUPIR.
17 Avril – Mardi – LES ROCHES
Le matin à 4 H 30 , contre-attaque allemande très forte sur le MONT SAPIN. Les Allemands ont amené des renforts. Une compagnie du 25° Chasseurs , qui a perdu tous ses officiers et la moitié des sous-officiers et qui est commandée par un sergent , tient avec une énergie admirable. Les Allemands sont repoussés.
Le 6° CA donne l’ordre de s’emparer aujourd’hui du plateau de COUR SOUPIR , la 56° à droite , s’emparera de la CROIX SANS TETE à l’extrême droite du plateau , moi des GRINONS à l’extrême gauche.
Les préparations d’artillerie de la Division sont reprises en conséquence et concentrées sur les GRINONS. L’attaque a lieu à 5 H 30 , elle est faite par deux bataillons de Sénégalais et un bataillon du 355 ; attaque magnifique ; la moitié des Sénégalais ont les pieds gelés , ils ont séjourné 18 heures dans la boue. Il fait une tourmente de neige.
De nombreux Sénégalais se traînent sur les genoux pour ne pas manquer l’attaque. Ils se jettent sur les mitrailleuses allemandes en action.
A la nuit les Grinons sont à nous ; au centre le 172° s’est emparé des carrières de COUR SOUPIR. MALAGUTI (Sous Lieutenant au 29° Chasseurs) a fait à lui seul 80 prisonniers.
A droite , la 56° s’empare dans la soirée de la CROIX SANS TETE. Dès lors le plateau tout entier , encerclé par cette manœuvre aux deux extrémités doit tomber. (C’est ce qui a eu lieu. Dans la nuit les Allemands ont reçu l’ordre de se replier immédiatement sur la deuxième position au CHEMIN DES DAMES)
18 Avril – Mercredi – LES ROCHES
Ordre de continuer la progression. Au centre , le 172° atteint la ferme de COUR SOUPIR. Le plateau est à nous. Toutefois la résistance , à gauche en arrière des GRINONS , ne cède qu’à 13 H 00. Un observateur , le Capitaine d’ALTON , qui est à BOVES (à 3 Kilomètres de mon poste) téléphone qu’on voit dans la plaine des bataillons entiers marchant du nord.
L’artillerie demande s’il faut tirer ; on ne sait si ce sont des Allemands en retraite ou notre infanterie qui progresse librement. Je prescris de tirer à 200 mètres en avant de ces bataillons. On me rend compte que ce sont bien des troupes à nous , elles ont arboré des fanions blancs pour arrêter le tir.
Je donne immédiatement les ordres de poursuites tels qu’ils avaient été prévus.
Toute la division marche sur le chemin des Dames ; les Sénégalais nettoient le terrain entre CHAVONNE et VAILLY. Partout l’ennemi s’est retiré en désordre abandonnant un matériel considérable , dépôts de munitions , vivres etc …A ESSENLIS , une Compagnie du 355° trouve la soupe toute chaude et le feu allumé.
Le terrain est boueux , rendu inextricable par les destructions et accumulations de fils de fer , de détritus de toute sorte.
La première batterie lancée en avant met 12 heures à gravir le Mont Sapin ; deux autres batteries du Colonel DILLEMAN mettent 18 heures à gagner le plateau vers MAISON ROUGE , ses pièces doivent être attelées à 12 et même 18 chevaux.
Nos estafettes de cavalerie qui vont porter les ordres aux Bataillons de tête s’enlisent au passage de CHAVONNE et mettent des heures à traverser le Village.
19 Avril – Jeudi – LES ROCHES
Un régiment de la 166° Division , le 294° est mis à ma disposition pour prolonger ma ligne à gauche …
20 Avril – Vendredi – LES ROCHES
… Le 355° gagne du terrain et dégage le front du 294° qui occupe AIZY dans la soirée et enfin les hauteurs du Chemin des Dames. Tous nos objectifs sont dès lors atteints.
21 Avril – Samedi – CHACRISE
Nos pertes dans la bataille ont été :
Les Sénégalais en outre ont eu 1 Officier Tué et 4 Blessés et la Troupe 63 Tués - 267 Blessés - 180 Disparus – enfin 233 indigènes évacués pour pieds gelés.
Nous avons pris 25 canons dont 16 lourds – 43 minenwerfer – 52 mitrailleuses et 1.800 prisonniers.
La division est relevée dans la nuit du 20 au 21 par la 166° (Général GABAUD)